Christiane Filliatreau

Sa rencontre avec la terre, Christiane Filliatreau s’en souvient avec tous ses sens. L’enfant qu’elle était, au Maroc, joue au bout d’un champ. Elle tombe sur une espèce de carrière. Il a plu. Sous ces doigts, la matière s’amalgame, s’amasse, se modèle et garde la forme. Cette plasticité de l’argile, elle en fait ainsi la primaire expérience poussant plus loin l’investigation. Sous le soleil, les amas change de couleur, durcissent. Elle surveille le processus et en ressent l’émerveillement, la jouissance encore aujourd’hui. Lorsque la famille rentre en France, elle a 14 ans. Elle continue à « tripoter » la terre. Le plaisir est entier, mais à aucun moment elle n’ambitionne d’en faire un métier. Au lycée, même attirance pour l’argile dans un atelier où contrairement aux autres, Christiane ne réalise pas des contenants, mais de petites formes fermées, sculpturales. Le Bac en poche, c’est vers une autre passion qu’elle souhaite s’orienter, celle du dessin. « J’irai aux Beaux arts ou rien d’autre », a t-elle fermement annoncé à ses parents d’abord réticents. Inscrite à l’Ecole des Beaux Arts de Marseille, elle pratique le dessin avec grand intérêt, mais là encore, l’atelier terre reste un pôle d’attraction irrépressible. Et toujours elle revient aux formes fermées, englobant le vide.

Diplôme en poche, elle poursuit sa formation céramique, qui devient son activité première tout en dessinant. Chez Ben Lisa (1926-1995), durant de longues années, elle pratique la préparation d’émaux à base de végétaux et de minéraux puisés dans la nature. Même si le Sud de la France est un pays de faïenciers, elle n’abandonnera plus jamais le grès. Les cuissons bois qui l’ont tant fascinée pendant des décennies par leur invitation permanente à l’expérimentation aujourd’hui, c’est fini. Impossible d’imposer les flammes dans une contrée forestière sujette aux incendies. Mais le four électrique permet d’autres expériences et surprises. « Aujourd’hui, surtout, je sens que je cultive la simplification du processus créatif. J’aime dominer ma chose. Quand on voit mes pièces, il y a peu d’évidence à y voir de la simplicité, pourtant, je n’utilise plus que trois émaux que j’applique pour des monochromes assumés », analyse la céramiste du haut de ses 68 printemps.

 

Jamais le dessin en deux dimensions, qu’elle continue à produire, ne se met au service du travail de l’argile en 3D. Deux expressions distinctes.

Une pièce de Christiane Filliatreau nait d’une idée qui la taraude. Et puis, mentalement, la pièce lui apparaît, en volume. Elle se concrétise dans l’intimité de l’atelier, au colombin, même s’il lui arrive de pratiquer le tour pour des bols. « Je vis à Buoux dans le Luberon. Un haut lieu d’escalade. Le paysage provençal dans lequel je me balade est très inspirant, à la fois, minéral avec les falaises, végétal et organique parce notamment grouillant de lichens et d’une faune dont les modes de déplacement sont fascinants », explique t-elle avec bonheur. Au premier coup d’oeil, on repère combien les « Aventi » de Christiane, par exemple, racontent cette mouvance fluide. Il ne s’agit pas de parodier la nature. Il s’agit d’en saisir l’énergie. « Ce que je construis, en partant de rien, petit à petit, c’est techniquement creux. Mais, pour moi c’est plein. De sensibilité, d’émotion », poursuit l’artiste aux gestes additifs et non pas soustractifs pour aboutir à une sculpture que chacun peut enlacer, bercer… à son gré.

 

Texte de Laurence Blasco-Mauriaucourt, céramiste à La Borne

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